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huit brumaire sans le glaive, la protestation de leurs consciences.

Nous vivons en République. La constitution, les lois, nous assurent une quantité nominale de libertés dont se contenteraient, dit-on, les plus exigeants des individualistes. On affirme que les préjugés ont vécu — ceux-là mêmes qui peut-être avaient l’excuse de servir de prémisses à l’obscure dialectique inconsciente de l’âme populaire. Des dieux, il n’en faut plus. La religion, vieille lune. C’est le moment qu’ont pris ces monstres difformes et ridicules de l’antisémitisme et du nationalisme chauvin pour s’étaler au grand soleil. On ne croit plus au christianisme maison hait le juif. On n’entretient plus le fier patriotisme qui est prêt à tous les sacrifices : mais on cultive la fiction malsaine d’une implacable hostilité contre un peuple voisin. — Au premier mot de guerre on s’enfouit la tête dans le sable, telle une autruche, mais on professe une vénération pour les héros qui traînent leurs sabres dans les corps de garde et les estaminets et qui, sous prétexte qu’ils auraient quelque risque à courir le jour où la chair à canon des civils serait mise en réquisition, tranchent du matamore dans les salles d’assises et dans les salons.

Un officier juif a été condamné pour trahison. La légalité a été violée de la façon la plus scandaleuse dans son cas. Nous savons aujourd’hui que la justice n’y a pas eu une moindre atteinte. Le coupable est connu. Personne ne songe même à contester son infamie. Il n’en est pas moins sacro-saint, parce que sa faute est liée indissolublement à celle de l’infaillibilité de l’État-major. La magistrature civile s’est empressée de couvrir de ses abus de pouvoir la forfaiture de la magistrature