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il l’eût été, même par un Conseil de guerre ; d’ailleurs le crime dont il était accusé et auquel les Français, en proie à la hantise de l’espionnage depuis 1870, croient volontiers, ne rappelle-t-il pas les accusations de blasphème et de sorcellerie ! Y a-t-il des secrets militaires que les gouvernements volent ou achètent par trahison ? Dans ce cas, il faut que les gouvernements soient encore bien naïfs, car il n’est aucun secret militaire qui n’ait une publicité suffisante pour qu’on ne puisse l’acheter pour quelques francs chez les libraires, dans un manuel ou une revue technique quelconque. C’est pourquoi moi, qui n’ai été mêlé ni de près ni de loin à la campagne pour la révision du procès Dreyfus, qui n’ai pas même été consulté par ceux qui ont mené cette campagne, ici ou ailleurs, j’ai toujours cru que Dreyfus n’était pas coupable de ce dont on l’accusait et qu’il était victime des hallucinations chauvines et de la fièvre antisémite de ses contemporains, en même temps que de la plus abominable des violations des droits de la défense.

Car Dreyfus eût peut-être été acquitté même à huis clos (on prétend qu’il le fut) si en chambre du Conseil on n’avait osé mettre sous les yeux de ces juges militaires étrangers à toute notion de droit, imbus de leurs préjugés professionnels et rompus à l’obéissance hiérarchique, des documents secrets qui n’avaient été communiqués ni à l’accusé, ni à son défenseur.

Voilà la monstruosité qu’un clérical, homme de cœur et homme de droit, notre ancien ministre de la justice, M. Lejeune, qualifiait de crime et d’infamie et qui devrait soulever toutes les consciences, car si cela est possible, tout est possible ; il n’y a ni code, ni droit, ni