Page:Livre d'hommage des lettres françaises à Émile Zola, 1898.djvu/22

Cette page n’a pas encore été corrigée

et marchant sous l’odieuse raison sociale de l’antisémitisme. Qu’un pareil mouvement mette en danger les libertés modernes et la civilisation même, qui donc pourrait en douter et quel est le libéral, le socialiste, le démocrate qui ne comprenne que son devoir est de faire tête à un pareil mouvement de réaction ?

D’ailleurs, tout le monde y aura vu clair maintenant. Mais avant de devenir ainsi une grave question politique, avant même d’être le procès des bureaux de la guerre contre l’opinion publique, l’affaire Dreyfus se présentait sous un aspect purement juridique qui aurait dû mettre d’accord tous les hommes de bonne foi.

Un homme a été condamné comme traître par cette juridiction exceptionnelle du Conseil de guerre qui n’offre aucune garantie de compétence, d’indépendance ni d’impartialité ; son procès s’est fait à huis clos, mais sous cette même pression d’opinion extérieure qui se traduit en ce moment par le cri de « Mort aux Juifs ! » et par laquelle le haut État-Major français, pourri de cléricalisme est suspect tout au moins de lâche complaisance, sinon de complicité. La publication de l’acte d’accusation a montré combien étaient faibles les preuves apportées contre cet homme à l’appui d’une accusation que tout rendait invraisemblable : sa position sociale, sa situation de fortune, ses mœurs. Même ceux qui ne croient qu’à l’intérêt doivent se dire que Dreyfus avait tout à perdre et rien à gagner à cette trahison.

On connaît la preuve du bordereau attribué par trois experts à Dreyfus, tandis que deux autres refusent d’y voir son écriture. Et ces cinq experts avaient été choisis par le gouvernement. Il n’y avait donc pas de preuves et Dreyfus aurait dû être acquitté ; en audience publique,