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tir à quelles catastrophes ! Moi aussi, j*ai foi dans l’avenir de justice sociale. Mais je sais qu’une si haute construction ne peut s’élaborer qu’à la condition que le sentiment de solidarité humaine ait pénétré profondément nos cœurs.

Je le disais hier : la vraie révolution est faite quand l’esclave, plus grand que son maître, découvre qu’il doit la justice, même à ses tortureurs. Cette générosité sublime, le peuple, instinctif, l’éprouve à des heures qui passent. Mais la tentation est si forte, à d’autres moments, de répondre aux actes barbares par une explosion de barbarie ! Ainsi se fait la chaîne sans fin des violences, dans un décor menteur de justice et de liberté ! Ainsi les siècles ont forgé le dur anneau que nous voulons rompre pour libérer l’homme de l’iniquité !

Le soldat qui n’a d’autre emploi de sa vie que l’art de tuer, ne peut pas s’arrêter à ces idées qui ne sont, pour lui, que des misères. Que lui importe la forme d’un jugement ? Il n’a, sous les beaux noms dont il se couvre, qu’un culte, celui de la force qui se dresse en tous lieux contre le droit. Aussi je ne lui en veux pas de ne pas comprendre. C’est aux civils, dans le plus noble sens du mot, aux policés, à ceux qui fondent la civilisation sur le droit qu’il appartient de réagir : aux penseurs, aux savants qui préparent l’avenir, et, avec eux, aux faibles qui sont le nombre, livrés par l’anarchie mentale à la tyrannie des plus forts.

Il ne se peut léser un droit chez le dernier des hommes sans que tous les opprimés aient intérêt à s’en faire solidaires. Ils ne le comprennent que lentement, hélas ! obligés de se soumettre pour vivre, et ne pouvant suivre que de loin l’effort des pensées. Il faut cependant que le