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sens défavorable, et souvent ce vocable devient un terme d’injure, signifiant un mauvais drôle, un lâche. Cette acception fâcheuse n’a pas pénétré dans la langue moderne. Il n’en est pas de même de garce. Tandis que, dans l’ancienne langue, garce signifie une jeune fille, en dehors de tout sens mauvais, il est devenu dans la langue moderne un terme injurieux et grossier. Il semblerait que le mot n’a pu échapper à son destin : en passant dans l’usage moderne, garçon s’est purifié, mais garce s’est dégradé. Il vaut la peine de considérer d’où provient ce jeu de significations. Le sens propre de garçon, garce, est jeune homme, jeune femme. Comme les jeunes gens sont souvent employés en service, le moyen âge donna par occasion à garçon l’acception de serviteur d’un ordre inférieur, au-dessous des écuyers et des sergents. Une fois cette habitude introduite, on conçoit qu’une idée péjorative ait pris naissance à l’égard de ce mot, comme il est arrivé pour valet. De là le sens injurieux que l’ancienne langue, non la moderne, attribua à garçon. Ceci est clair ; mais comment garce est-il tombé si bas qu’il ne peut plus même être prononcé honnêtement ? Je ne veux voir là que quelque brutalité de langage qui malheureusement a pris pied, flétrissant ce qu’elle touchait ; brutalité qui se montre, à un pire degré encore, dans fille, dont il faut comparer l’article à celui de garce.