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PRÉFACE. XXXV

mot latin est encaustum, qui, de la signification d'encaustique, était passé a celle d'encre, dès Isidore et le sixième siècle ; et sacrum encaustum désignait une encre de pourpre réservée à l'empereur. Encaustum avait deux prononciations : l'une latine, avec l'accent sur caus, a donné l'italien inchiostro ; l'autre grecque, avec l'accent sur en (έγκαυτον), a donné le français encre. Autre exemple : dans la finale age, qui répond à la finale latine aticus, la filière est pleinement satisfaisante ; sauvage, de sylvaticus, présente la forme où l'étymologie est le plus masquée ; l'italien, par les deux gg (selvaggio), fait connaître que la finale avait plus d'une consonne ; enfin le provençal met à découvert la seconde consonne (selvatge). En revanche, ce qui rend l'étymologie du verbe aller si difficile, et, à vrai dire, impraticable jusqu'à présent, c'est la filière qui ne laisse pas passer toutes les formes romanes ; ces formes sont : en italien, andare ; en espagnol, andar ; en provençal, anar ; en français, aller, et aussi, dans l'ancienne langue, aner. Il est malaisé de voir, dans ces mots qui se touchent par le sens et même un peu par la forme, des mots différents ; mais il est impossible qu'ils traversent tous la filière : où l'un passe, l'autre est arrêté ; telle forme latine (aditare) qui donnerait très bien l'italien andare, s'il était seul, ne donne plus le provençal ou le français. Si on les prend comme ayant même radical, on ne peut rendre compte de la transformation ; si on les prend comme ayant des radicaux différents, on perd la garantie de la comparaison, et on n'a plus que des conjectures plus ou moins plausibles.

La particule péjorative mes (mésestimer, mésuser, mespriser, etc.) est un des exemples où ressort particulièrement la nécessité de la filière. A première vue on croirait qu'elle représente la particule allemande miss (en anglais mis), qui a même sens et même forme ; avec le français seul et surtout avec l'italien qui dit mis, il serait impossible d'échapper à cette conclusion. Mais allons plus loin et poussons jusqu'au bout la filière : mes ou mis devient, dans les mots parallèles, en provençal mens, menes (mesprezar, mensprezar ou menesprezar, mépriser), en espagnol et en portugais menos (menospreciar, menosprezar). Ce n'est donc pas à la particule allemande miss qu'on a affaire ; elle ne donnerait ni mens, ni menes, ni menos ; c'est à l'adverbe latin minus, moins, qui donne menos, menes, mens, et, par la suppression non rare de la nasale devant l's, mes, puis, par altération de la voyelle, mis en italien.

6. Enfin l'accent tonique latin est, dans la recherche des étymologies romanes, de première importance. On nomme accent tonique ou, simplement, accent, l'élévation de la voix qui, dans un mot, se fait sur une des syllabes. Ainsi, dans raison, l'accent est sur la dernière syllabe, et, dans raisonnable, il est sur l'avant-dernière syllabe. L'accent tonique peut être dit l'âme du mot; c'est lui qui en subordonne les parties, qui y crée l'unité et qui fait que les diverses syllabes n'apparaissent pas comme un bloc informe de syllabes indépendantes. En français, il n'occupe jamais que deux places : la dernière syllabe, quand la terminaison est masculine ; l'avant-dernière, quand la terminaison est féminine. L'une et l'autre de ces places ont leur