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PRÉFACE. XXXI

inexpliqués. Ce sont les règles générales et positives qui permettent de dire qu'il y a faute là même où l'on ne peut connaître les circonstances ou les conditions de la faute, et de diviser tout le domaine en partie régulière et correcte et en partie altérée et mutilée par les inévitables erreurs du temps et des hommes.

Parmi les lettres, les consonnes sont plus persistantes que les voyelles ; et, parmi les voyelles, les longues plus que les brèves. Voyez peindre du latin pingere, et plaindre de plangere ; l'e bref disparaissant, il en devait résulter peingre et plaingre. Mais, au moment de la transformation, l'oreille, du moins l'oreille française, ne put guère supporter entre la nasale n et la liquide r, que la dentale d ; et ainsi naquirent peindre et plaindre ; l'habitude fut de rendre par ei ou, moins bien, par ai, les combinaisons latines en, in, em, im. Louange est un peu plus compliqué : c'est le verbe louer, avec un suffixe ange, ou plutôt enge (car telle est l'orthographe ancienne) : or vendange, de vindemia, nous apprend que ce suffixe représente emia ; ce qui nous conduit à un bas-latin laudemia, qui existe en effet ; de sorte que louange est fait sur le même modèle que vendange. Pour la forme comme pour le sens, on doit prendre garde aux transformations ; elles conduisent quelquefois bien loin un mot, qu'on méconnaîtra si on ne tient pas les gradations qui en ont changé la figure. A première vue, on ne saura, par exemple, ce que peut être notre adverbe jusque ; et si l'on spécule tant qu'il est dans cet état, on entreverra sans doute qu'il tient au latin usque, mais sans pouvoir en fournir la démonstration. Il y tient en effet ; la forme primitive est dusque, ce qui mène à de usque, sorte d'adverbe composé comme l'est la préposition dans (de intus) ; de ou di latin se changea souvent, sous l'exigence de l'oreille française, en j ou g sifflant. Jour peut aussi servir à mesurer l'espace parcouru, sans se dénaturer, par un mot qui se transforme ; dans l'ancienne langue il est jorn, en italien giorno, tous deux du latin diurnus, qui lui-même provient de dies ; si bien que, très certainement, dies et jour, n'ayant plus aucune lettre commune, mais en ayant eu, sont liés l'un à l'autre.

3. A la forme du mot on rattachera étroitement les règles de permutation des lettres. Toute forme d'un mot ne dépend pas des règles de permutation ; mais toute permutation influe sur la forme. On entend par règles de permutation le mode uniforme selon lequel chacune des langues romanes modifie un même mot latin. Il ne faut pas croire, en effet, que ces langues traitent capricieusement les combinaisons latines de lettres, et que la même combinaison soit rendue par chacune d'elles, tantôt d'une façon, tantôt d'une autre. Non, là aussi la régularité est grande et prime les exceptions. Chaque langue romane eut, à l'origine, son euphonie propre, instinctive, spontanée, qui lui imposa les permutations de lettres en les réglant, et qui fit que tel groupe de lettres en latin est uniformément rendu, dans les cas les plus variés, par tel groupe de lettres en roman. Le latin maturus devient : en italien, maturo ; en espagnol, maduro; en provençal, madur ; en français, meür