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PRÉFACE XXIX

concevoir comment l'esprit humain a procédé pour passer des significations simples et primitives aux significations dérivées et complexes.

L'étymologie est primaire ou secondaire : primaire, quand il s'agit d'une langue a laquelle, historiquement, on ne connaît point de mère ; secondaire, quand il s'agit d'une langue historiquement dérivée d'une autre. Ainsi l'étymologie romane, et, en particulier, française, est secondaire, remontant pour la plupart des mots au latin, à l'allemand, au grec, etc. Puis l'étymologie latine, ou grecque, ou allemande, est primaire ; ces idiomes n'ont pas d'ascendants que nous leur connaissions, mais ils ont des frères, le sanscrit, le zend, le slave, le celtique ; ce sont autant de termes de comparaison pour l'étymologie primaire, qui s'efforce d'isoler les radicaux irréductibles, de déterminer quel en fut le sens et d'en faire la nomenclature.

Dans ce dictionnaire, il n'est question que de l'étymologie secondaire et seulement de la langue française. Le problème à résoudre est de trouver pour chaque mot français le mot ancien dont il procède et l'origine de la signification que prend le mot ancien en devenant le mot moderne. Il s'en faut, certes, que le problème soit résolu pour tous les mots ; mais il l'est pour beaucoup ; et sur ce terrain de l'étymologie secondaire, qui est plus rapproché de nous et plus historique, on a d'amples et précieux documents qui enseignent comment l'esprit d'un peuple, à l'aide d'un fonds préexistant, fait des mots et des significations : ce qui jette du jour sur le terrain plus éloigné et moins historique de l'étymologie primaire.

Mais l'étymologie est-elle une science à laquelle on puisse se fier, et dépasse-t-elle jamais le caractère de conjectures plus ou moins ingénieuses et plausibles? Cette appréhension subsiste encore chez de bons esprits, restés sous l'impression des aberrations étymologiques et des moqueries qu'elles suscitèrent. L'étymologie fut, à ses débuts, dans la condition de toutes les recherches scientifiques, c'est-à-dire sans règle, sans méthode, sans expérience. La règle, la méthode, l'expérience ne naissent que par la comparaison des langues, et la comparaison des langues est une application toute nouvelle de l'esprit de recherche et d'observation. Les savants qui les premiers s'occupèrent d'étymologie, ne pouvant consulter que la signification et la forme apparente des mots, ne réussissaient que dans les cas simples : ils n'avaient aucun moyen de traiter les cas complexes et difficiles sinon par la conjecture et l'imagination ; et dès lors les aberrations étaient sans limites, puisqu'il ne s'agissait que de satisfaire tellement quellement au sens et à la forme.

Désormais les recherches étymologiques sont sorties de cette période rudimentaire ; et l'ancien tâtonnement a disparu. L'étude comparative a établi un certain nombre de conditions qu'il faut remplir ; le mot que l'on considère est soumis à l'épreuve de ces conditions ; s'il la subit, l'étymologie est bonne ; s'il la subit incomplétement, elle est douteuse ; s'il ne peut la subir, elle est mauvaise et à rejeter. De la sorte tout arbitraire est éliminé ; ce sont les conditions qui décident de la valeur d'une éty-