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XVI PRÉFACE.

de M. Dochez[1] et dans le mien il est partie constituante de l'œuvre ; il l'est aussi dans le Dictionnaire historique que l'Académie prépare et dont il a paru un premier fascicule.

Voltaire avait songé à des collections d'exemples pour un dictionnaire de la langue française, et, parlant de celui auquel l'Académie travaillait alors, il dit : " Il me semble aussi qu'on s'était fait une loi de ne point citer ; mais un dictionnaire sans citation est un squelette. " (Lettre à Duclos, 11 d'août 1760.) Sans admettre d'une manière absolue l'expression de Voltaire, puisqu'un dictionnaire peut être fait à bien des points de vue, il est certain qu'une littérature classique fondée il y a plus de deux cents ans, reçue comme le plus beau des héritages dans le dix-huitième siècle, entretenue avec des renouvellements dans le dix-neuvième, offre de quoi largement alimenter la lexicographie ; et, si la nomenclature des mots avec des exemples créés exprès est un squelette, il est facile de lui redonner du corps et de l'ampleur avec tant et de si précieux éléments. Ce n'est que continuer ce qui fut à l'origine ; car les littératures, précédant les dictionnaires, en fournirent les premiers éléments. Voltaire pensait qu'il fallait laisser pénétrer les exemples, soutenir l'usage par les autorités, et établir entre les mots et ceux qui s'en sont heureusement servis le lien réel qui est consacré par les livres. C'est ce que pratiquent les dictionnaires qui citent ; et c'est ce qui a suggéré à Voltaire de dire qu'un dictionnaire sans citation est décharné.

Quand on a sous les yeux une collection d'exemples et qu'on cherche à les faire tous entrer dans le cadre des significations, tel qu'il est tracé par les dictionnaires ordinaires et en particulier par celui de l'Académie, il arrive plus d'une fois que ce cadre ne suffit pas et qu'il faut le modifier et l'élargir. L'emploi divers et vivant par un auteur qui à la fois pense et écrit, donne lieu à des acceptions et à des nuances qui échappent quand on forme des exemples pour les cadres tout faits. Sous les doigts qui le manient impérieusement, le mot fléchit tantôt vers une signification, tantôt vers une autre ; et, sans qu'il perde rien de sa valeur propre et de son vrai caractère, on y voit apparaître des propriétés qu'on n'y aurait pas soupçonnées. L'on sent que le mot qui paraît le plus simple et, si je puis parler ainsi, le plus homogène, renferme en soi des affinités multiples que les contacts mettent en jeu et dont la langue profite. Mais il faut ajouter que celui qui, faisant un dictionnaire, se donne pour tâche de ranger les acceptions dans l'ordre le plus satisfaisant, éprouve des difficultés particulières dans la classification des exemples. C'est un très grand travail que de déterminer les places où ils conviennent logiquement. L'intercalation des exemples est une épreuve dont la classification des sens sort presque toujours modifiée, corrigée, élargie. Il n'en faut laisser aucun hors cadre ; aussi m'efforcé-je toujours

  1. Voyez ce que j’en ai dit plus haut.