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voir enlever au ciel par les anges. Au milieu de son sommeil pénible, il s’agite et fait effort pour prononcer le nom de Béatrice. Mais à peine l’a-t-il laissé échapper de ses lèvres, que réveillé en sursaut, il reconnaît que ce qu’il a vu et entendu, n’est qu’un songe. Mais le coup était porté ; le songe prit pour lui toute l’importance d’une prophétie. Béatrice déjà, pour ainsi dire appelée par Dieu et voué à la céleste béatitude, lui sembla prendre dorénavant sur la terre qu’elle habitait encore, toute la majesté d’une sainte. L’amant-poète, jaloux de lui consacrer par avance de divines louanges, ne parla plus d’elle que pour « vanter l’effet bienfaisant de sa présence sur ceux qui la voyant et recevant son salut, deviennent bons, justes et compatissants, et se sentent inondés d’une telle charité qu’ils oublient jusqu’aux plus mortelles injures !… »

Béatrice comme une victime choisie, couronnée pour le sacrifice, mourut en effet à la fleur de son âge, et rien ne peut peindre la violence du chagrin que Dante ressentit de cette perte. L’excès de la douleur que cette mort lui fit exprimer, et les éloges qu’il décerna, dans des pages mouillées de larmes, à la jeune et belle trépassée ne sauraient guère être égalés. Son âme ardente fut plus que jamais soumise à l’empire de Béatrice, laquelle resta pour toujours la Dame de ses pensées et la reine de son cœur.

À partir de ce moment, Dante, ainsi qu’il a pris soin de le proclamer lui-même, se proposa de ne plus rien dire, qui n’eût pour objet les louanges de Béatrice. C’est dans cette intention formelle qu’il écrivit presque solennellement, en terminant son autobiographie de la Vie Nouvelle : — « J’eus alors une vision extraordinaire, pendant laquelle je fus témoin de choses qui me firent prendre la ferme résolution de ne plus rien dire de cette Bienheureuse, jusqu’à ce que je pusse parler tout-à-fait dignement d’Elle ; et, pour en venir là, j’étudie