Page:Littérature Contemporaine - Volume 43, 1990.djvu/15

Cette page a été validée par deux contributeurs.

LES DEUX VOIX

SOUVENIR DES PREMIERS APPELS DE LA MUSE


La foudre est le coursier de l’aigle et du poète !


I


Aux jours de mon enfance, il m’en souvient, l’été,
Cherchant des bois touffus l’ombre et la volupté,
Souvent j’allais m’asseoir au bord d’une fontaine,
Qui, limpide et fuyant d’une course incertaine,
Sous un abri formé par des berceaux épais,
Semblait s’environner de mystère et de paix.
Et là, le front penché sur ma main qui l’appuie,
Comme un lys que l’aurore a courbé sous sa pluie,
Laissant flotter mes yeux sur le cristal dormant,
Écoutant des rameaux le bruit vague et charmant,
J’effeuillais ma pensée en mille rêveries,
Et, suspendant mon âme à ces ondes chéries,
Je voyais tour-à-tour, sur les flots embaumés,
Passer en souriant mes beaux songes aimés…

Heures d’insouciance ! heures de paix profonde !
Ah ! j’ignorais alors que fuyant comme l’onde,
Le temps sait nous ravir, hélas et sans retour,
Ces fleurs de nos matins, la candeur et l’amour !

Tandis que savourant ces molles quiétudes,
Livrant mon âme vierge aux vents des solitudes,
Je me laissais ainsi bercer par le courant
Des rêves enchantés et du flot murmurant,
Souvent il me semblait distinguer, ô merveille !
Deux voix qui tour-à-tour caressaient mon oreille,
Et dont le charme tendre ou l’ascendant vainqueur
Tour à tour pénétrait ou subjuguait mon cœur.
....................
La première était pure, et suave, et plus douce