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su retrouver le trépied sacré, en faisant de son cœur un autel sur lequel elle n’a cessé d’attiser et d’entretenir le feu inextinguible de l’amour. — Cette image représente bien sa destinée.

Son histoire s’ouvre comme un doux roman du cœur, prélude enchanté du beau drame de passion ; mais bientôt un affreux événement, une péripétie lamentable et funeste transforme le roman en tragédie, et la fin de la triste histoire n’est plus qu’une sorte d’élégie éplorée, ennoblie par le sacrifice et sanctifiée par l’austère poésie du cloître.

Héloïse, née à Paris vers 1101, était ce qu’on appelait alors une fille de qualité, c’est-à-dire appartenant à une famille distinguée et considérée. Aussi, par les soins de son oncle et tuteur Fulbert, chanoine du chapitre métropolitain, elle avait reçu une éducation solide, étendue et brillante. Charmé de ses talents et de ses progrès, Fulbert voulut compléter son instruction et la perfectionner dans la connaissance des lettres et des sciences. Peut-être, dans son naïf orgueil, rêvait-il de lui faire acquérir la supériorité de savoir d’une nouvelle Hypatie, d’une Hypatie chrétienne. Il jugea bon en conséquence de lui donner un maître habile et renommé entre tous. C’était Pierre Abélard, l’un des hommes les plus éloquents, les plus érudits, et l’un des professeurs les plus brillants de l’époque.

Abélard avait, en effet, cultivé tous les genres de littérature et de sciences en honneur de son temps. Disciple de Roscelin et de Guillaume de Champeaux, il n’avait pas tardé à surpasser ses maîtres et à les éclipser par la variété de son savoir, par la hauteur de son enseignement, et par la puissance de sa dialectique.

Héloïse comptait alors dix-huit ans. On peut se la représenter, à cet âge, dans toute la grâce de sa jeunesse fraîchement épanouie, et dans tout l’attrait séduisant de sa beauté. Elle avait un teint éblouissant,