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de femmes brillamment parées et de fashionables qui tranchaient à l’envi en moins de cinq minutes les questions d’esthétique les plus ardues, rabaissant et critiquant dédaigneusement les mérites éminents, exaltant ceux de bas étage, — bien souvent, après de vives discussions, j’ai été conduit de réflexion en réflexion à me demander si, en effet, l’artiste était autre chose qu’un amusoir assez agréable dans un salon ? s’il devait réellement prétendre à ce que sa voix réveillât quelque sympathie puissante, quelque émotion profonde dans le cœur de ses auditeurs indifférents, ou bien si toute la sensation qu’il pouvait faire se bornait au plaisir sensuel et à l’appréciation plus ou moins experte des tours d’adresse ? si enfin, comme je l’avais rêvé, l’art est cette universelle communion du vrai et du beau, ou simplement un mets savoureux et épicé, avidement recherché par les privilégiés de la fortune ?… et un doute amer s’emparait de moi…

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« On sait, reprend M. Lepic, ce qu’étaient les musiciens dans l’ancien régime : de braves gens joyeux, ayant le diable au corps, disait-on, et invariablement ivrognes, disait-on aussi. Souvenez-vous qu’on disait presque la même chose des poètes. Ces deux classes d’hommes étaient chargées, à peu près au même degré, d’amuser les réunions et les soupers de la gent opulente et nobiliaire. Qui réclame aujourd’hui contre la subalternité des poètes ? Y a-t-