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foudre ! Tous mes membres en frissonnèrent. Toutefois mon père insista, supplia ; sa voix ranima mon courage ; j’essayai aussi d’articuler quelques mots. Comme la Chananéenne, j’implorai humblement la permission « de ramasser la part des petits chiens, de me nourrir au moins des miettes qui tombent de la table des enfants. » Mais le règlement fut inexorable ; — et moi tout à fait inconsolable. Il me semblait que tout était perdu, même l’honneur, et que désormais il ne me restait plus aucune ressource. Mes plaintes, mes gémissements n’eurent point de cesse. Mon père et ma famille adoptive[1] tentèrent vainement de me consoler. La plaie était trop profonde ; elle continua de saigner longtemps. Ce n’est que huit ou dix ans après, grâce à la lecture assidue de la méthode de piano de M. Kalkbrenner et à d’intimes confidences de plusieurs élèves du Conservatoire qu’elle s’est entièrement fermée.

Chose singulière, l’origine de cette institution est toute révolutionnaire, toute anarchique[2] et cependant chaque jour nous l’entendons attaquer, calomnier, dénigrer outrageusement comme la personnification de l’ancien régime, la salle d’asile des manies, l’apothéose des perruques, etc., etc.

Je n’aurai garde de me faire l’écho de ces récriminations injurieuses, ce serait une trop mauvaise manière de prouver que je n’ai conservé nulle ran-

  1. La famille Érard (note de Liszt).
  2. Le Conservatoire fut fondé en 1793 (id.).