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exact de dire l’abominable porte cochère) de la rue du Faubourg-Poissonnière, que je me sentis pénétré d’un respect profond. Ce lieu est redoutable, pensai-je ; c’est ici, dans ce glorieux sanctuaire, que siège le tribunal suprême qui condamne ou absout pour jamais ; et de peu s’en fallut que je m’agenouillasse devant cette confusion d’hommes, que je tenais tous pour illustres, et que je m’étonnais de voir passer et repasser comme de simples mortels. — Lorsqu’enfin, après un bien mauvais quart d’heure d’attente, le garçon de bureau eut entr’ouvert la porte du cabinet de M. le directeur et nous eut fait signe d’entrer, me sentant déjà plus mort que vif, j’allai précipitamment, mû par je ne sais quel ressort inconnu, baiser la main de M. Chérubini. Puis, tout à coup, pour la première fois, l’idée me vint que ce n’était peut-être pas l’usage en France, et mes yeux se remplirent de larmes. Confus, humilié, n’osant plus me hasarder à jeter un regard sur le grand compositeur qui résista à Napoléon, je tâchai seulement de ne pas laisser échapper une seule de ses paroles, une seule de ses respirations.

Par bonheur, mon supplice ne dura que peu. — On nous avait déjà prévenus que mon admission au Conservatoire souffrirait quelque difficulté, mais jusqu’alors, le règlement qui s’oppose d’une manière absolue à ce que des étrangers participent aux leçons des élèves, nous était inconnu. M. Chérubini nous en instruisit tout d’abord. Quel coup de