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sur l’impossibilité de songer à l’art et de vivre en artistes, quand, pour faire bouillir la marmite, il faut traîner le boulet professoral, depuis sept heures du matin jusqu’à dix heures du soir, pendant les trois cent soixante-cinq jours de l’année !…

Voyez de plus, sur tous les murs de Paris, ces affiches de concerts ou de représentations au bénéfice d’artistes malheureux, qui témoignent de l’absence de toute prévoyance sociale à leur égard[1]. Voyez sur vos théâtres, peser impitoyablement l’anathème religieux sur tous les acteurs, et remarquez encore dans vos salons le contre-coup de cet anathème, la flétrissure sociale qui les exclut et les tient à distance ; voyez enfin tout ce qu’il y a de précaire et de cruel dans notre situation ; voyez nos misères et nos sujétions ; voyez la ligue du mercantilisme qui nous envahit, et l’anarchie morale qui nous isole et nous tue ; voyez et écoutez (s’il vous reste des yeux pour voir et des oreilles pour entendre), ces grandes pages de douleur, de dérision, de désordre et de malédiction, pages sublimes et volcaniques, que tous les génies puissants ont jetées, avec un admirable cynisme, à la face de leur siècle comme pour le souffleter ; elles racontent aussi la situation des artistes et leur condition dans la société ; voyez et écoutez-les, et dites ensuite si

  1. Il existe en Angleterre une très belle institution ayant pour but spécial de distribuer des secours honorables aux musiciens infirmes et pauvres. Je serais heureux de voir une fondation pareille se constituer à Paris (note de Liszt).