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sur les théâtres de l’Italie, il en est une qui s’est placée à part et à laquelle ce que je viens de vous dire ne saurait s’appliquer en aucune façon. Mlle Ungher[1], douée d’un sentiment profond, d’une remarquable intelligence et d’une énergie dont elle n’avait à redouter que les excès, a acquis par des études approfondies, continuées sans interruption durant l’espace de dix années, le plus beau talent dramatique qui ait paru sur la scène depuis Mmes Pasta et Malibran. Toujours vraie, noble, pathétique, elle se pénètre de l’essence de son rôle, et brisant, si je puis m’exprimer ainsi, les barrières de glace que les platitudes d’un libretto stupide ou d’une musique décolorée élèvent entre elle et le spectateur, elle devient sublime là où il semblait impossible d’être autre chose que convenable ; elle fait naître la plus vive émotion là où tout autre dissimulerait à peine le contre-sens des paroles et de la musique. C’est un curieux et triste spectacle tout à la fois que ce beau génie de femme emprisonné dans la médiocrité de sa tâche. Je la comparais souvent à un hardi nageur qui se débat misérablement dans un mince petit filet d’eau. Quelquefois aussi elle me rappelait le grand Mozart forcé de jouer du piano les mains couvertes d’un mouchoir afin de divertir les dames de la cour, ou bien encore le jeune Michel-Ange employé par le magnifique Cosme de Médicis à lui tailler dans son jardin

  1. Caroline Ungher (1805-1877).