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rit de ce que l’on envisage comme la colère de l’impuissant. Les artistes le récusent, et de quelque façon qu’il s’y prenne, il encourt non seulement la haine, mais le mépris de tous ceux auxquels il ne prodigue pas la louange la plus outrée. Quant à l’artiste-critique, il se trouve dans des conditions encore dix fois pires ; s’il se permet de critiquer en toute conscience ce qui lui paraît défectueux dans les œuvres des grands maîtres, son outrecuidance n’est pas tolérable ; s’il s’attaque à ses égaux et à ses contemporains, il est dévoré d’envie ; ceux avec lesquels il a des relations personnelles l’accusent d’ingratitude, ceux qu’il n’a jamais vus se demandent ce qu’ils lui ont donc fait pour les traiter ainsi. Enfin, là où il ne croyait soulever qu’une question d’art, il se trouve avoir soulevé cent questions de personnes, et s’être fait autant d’ennemis que ces personnes ont de maris, de frères, de cousins, de protecteurs, quelquefois même de compatriotes !

En résumé donc cet éternel dilemme : ou bien la critique est impuissante, ou bien elle est de mauvaise foi ; en d’autres termes : ou bien le critique est inintelligent, impertinent, absurde, ou bien il est envieux, partial, plein de fiel et d’irritation, etc. Or, je vous le demande, l’alternative ainsi posée, n’est-il pas plus prudent, plus profitable, de demeurer dans le silence ?

Ce que je viens de vous dire est particulièrement applicable à l’Italie, où la critique élevée, l’analyse sérieuse d’un ouvrage d’art, sont tout à fait en