Page:Liszt - Pages romantiques, 1912, éd. Chantavoine.djvu/280

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

semblables. Le Colysée et le Campo-Santo ne sont pas si étrangers qu’on pense à la Symphonie héroïque et au Requiem. Dante a trouvé son expression pittoresque dans Orgagna et Michel-Ange ; il trouvera peut-être un jour son expression musicale dans le Beethoven de l’avenir[1].

Une circonstance que je compte parmi les plus heureuses de ma vie, n’a pas peu contribué à fortifier en moi le sens intime de ces choses et mon ardent désir de pénétrer plus avant dans la compréhension et l’intelligence de l’art. Un homme dont le génie, aidé d’un goût exquis et d’un mâle enthousiasme a produit les plus belles créations de la peinture moderne, M. Ingres, m’admit à Rome dans une intimité dont le souvenir me rend encore fier[2]. Je trouvai en lui ce que la voix publique m’avait annoncé, et plus encore. M. Ingres, comme tu sais, a passé sa jeunesse dans l’étude constante et la lutte intrépide. Il n’a vaincu l’oubli, la méconnaissance, la pauvreté que par la persistance du travail et l’héroïque obstination d’une conviction inflexible. Parvenu aujourd’hui à l’âge de la maturité, il jouit sans vanité d’une renommée acquise sans intrigue. Ce grand artiste pour lequel l’antiquité n’a pas de secret, et qu’Appelle eût nommé son

  1. Ici se précise la poétique des futurs Poèmes Symphoniques où Liszt essayera de donner des équivalents musicaux à Shakespeare, Goethe, Hugo, ou aux grandes légendes « symboliques » d’Orphée et de Prométhée.
  2. Ingres était alors directeur de l’École de Rome (Villa Medicis).