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ligne de vastes pâturages, à la forêt de San Rossore. Cette belle forêt étale au soleil le dôme frémissant de ses pins que le vent de mer plie, et répond par une plainte ininterrompue au sourd grondement du flot qui vient mourir à ses pieds. Des troupes inquiètes de daims errent dans les clairières sablonneuses traversées de rayons, tandis que le chameau et le buffle paissent tranquillement les herbes parfumées, ou que, guidés par le bûcheron, ils portent au loin la dépouille des arbres séculaires. À deux cents pas du rivage une maison isolée me sert d’abri ; elle est bâtie en bois comme les chalets de l’Oberland. Ses habitants ne peuvent concevoir la fantaisie qui me fait leur demander asile. Les braves gens ignorent la poésie profonde dont ils sont entourés ; ils ne comprennent pas quel charme m’attire au coucher du soleil sur la grève déserte, et pourquoi mes yeux cherchent toujours sous la bande de feu que ceint l’horizon, ce point noir presque imperceptible, l’île d’Elbe.

C’est là où je vivais depuis un mois sans aucune communication avec le dehors, lorsque quelqu’un qui sait que je t’aime m’a envoyé ta lettre du 6 août. Cette lettre toute pleine d’un monde auquel je suis devenu étranger m’a causé une singulière impression. Je me suis senti soudain rappelé dans une sphère volontairement quittée où la force des circonstances me ramènera ; j’ai deviné ce que cachait de tristesse et d’ennuis l’indifférence dont tu te couvres ; j’ai compris en même temps que