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villes par la magie des sons » ; sans rouvrir avec le noble député « les Annales de l’histoire qui immortalisent la lyre de Tymothée, les chants de Tyrtée, et tant d’autres prodiges de la musique », bornons-nous à constater dans sa généralité son immense et multiple influence sur les sociétés antiques ; posons comme un fait avéré, incontesté, sa puissance politique, philosophique, sociale et religieuse, au temps du paganisme, et demandons ensuite comment il a pu se faire qu’à mesure que, grâce aux efforts et aux dévouements incroyables des artistes, l’art grandissait et grandissait encore, la musique et les musiciens aient perdu à la fois toute autorité, toute conscience de leur mission ?… Comment, en produisant, en enfantant douloureusement cette multitude de chefs-d’œuvre et de miracles, se sont-ils presque annihilés socialement ?… Comment enfin tant d’hommes éminents n’ont-ils pas violemment secoué le joug d’une déplorable infériorité, et par quelle fatalité ceux qui étaient les premiers, ont-ils condescendu à se faire les derniers[1] ?…

  1. On se tromperait étrangement en me supposant l’intention de vouloir établir historiquement la déchéance des artistes ; cette opinion erronée répugne fortement à toutes mes sympathies et ne me semble d’ailleurs guère plus soutenable. Dans tout ce qui vient d’être dit, je crois avoir pris la question plus avant et plus haut, et ceux qui se placeront à ce même point de vue sentiront, comme moi, l’inconsistance de plusieurs objections tout au moins naïves. Un critique distingué, M. Joseph d’Ortigue, à la fin de sa brochure De la guerre des Dilettanti, nous promet d’approfondir dans un ouvrage spécial et de longue haleine la grave question de l’art et des artistes dans les sociétés anciennes et modernes. Une palingénésie musicale du même auteur a été plu-