Page:Liszt - Pages romantiques, 1912, éd. Chantavoine.djvu/266

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

préventions, contre une malveillance obstinée ; et moins heureux que lui, son œuvre ne peut arriver au public impartial, au peuple, que par l’intermédiaire de ceux mêmes qui lui sont contraires. Le plus grand nombre de ses interprètes lui est hostile. Cellini expose sa statue à tous les regards. Elle est là à toute heure, à toute minute. Il en appelle véritablement au peuple. Et c’est ici le notable avantage de la plastique sur la musique, qui n’a point de permanence et ne saurait jamais avoir d’effet absolu, puisque son effet dépend en grande partie de l’exécution.

Tous les arts reposent sur ces deux principes, la réalité et l’idéalité. L’idéalité n’est sensible qu’aux intelligences cultivées ; la réalité de la statuaire est sensible à tous ; elle a son type dans la figure humaine que tous connaissent. Il n’est pas d’artisan qui ne puisse être frappé tout autant qu’un poète de ce qu’il y a de vrai dans Phidias et dans Michel-Ange. Chacun est à même d’apprécier le degré de fidélité dans l’imitation du corps humain. Il n’en est pas ainsi pour la musique ; elle n’a pour ainsi dire pas de réalité ; elle n’imite pas, elle exprime. La musique est à la fois une science comme l’algèbre, et un langage psychologique auquel des habitudes poétiques peuvent seules faire trouver un sens. Or, comme science et comme art, elle reste presque entièrement inaccessible à la foule. Les passions et les sentiments qu’elle doit rendre sont bien dans le cœur de l’homme, mais non dans le cœur de tous