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Honneur à toi, Berlioz, car toi aussi tu luttes avec un invincible courage, et si tu n’as pas encore dompté la Gorgone, si les serpents sifflent encore à tes pieds en te menaçant de leurs dards hideux ; si l’envie, la sottise, la malignité, la perfidie semblent se multiplier autour de toi, ne crains rien, les Dieux te sont en aide ; ils t’ont donné, comme à Persée, le casque, les ailes, l’égide et le glaive ; c’est-à-dire l’émigré, la promptitude, la sagesse et la force.

Combat, douleur et gloire : destin du génie.

Ce fut le tien, Cellini ; c’est aussi le tien, Berlioz.

Mystérieuse conception ! enfantement du génie par le génie ! chaîne divine qui unit les hommes d’idées à travers les âges ! rapports inexplicables ! communion des intelligences ! souffle de Dieu qui passe dans l’humanité !

Mon esprit s’abîmait dans le sentiment de ces choses.

Je levai de nouveau les yeux sur le Persée. Les curieux incidents qui accompagnèrent la fonte de cette statue me revinrent en mémoire. Une foule de rapprochements et de contrastes singuliers me frappèrent. La fonte du Persée fut un événement solennel et décisif pour Benvenuto Cellini. Cette crise importante dans la vie du statuaire devient à son tour une époque marquante dans l’existence du musicien. Le penchant de tous deux est contrarié dès l’enfance par des parents aveugles, et cette contradiction fait découvrir en l’un et en l’autre les