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bras, et fêta mon retour comme celui de l’Enfant prodigue. S’étant bientôt aperçu que j’étais d’un naturel trop impétueux, d’un esprit trop logique, d’un caractère trop absolu pour la pratique de la vie, surtout de la vie musicale, il s’empara de moi comme d’une chose, me fit abdiquer entre ses mains toute volonté, renoncer à toute réflexion. Je ne m’en trouvai point mal. Avec sa lente persévérance et sa tranquille activité, il leva toutes les difficultés, me sauva tous les ennuis, m’épargna toutes les démarches ; seulement, au lieu de m’arranger un concert, ainsi que nous en étions convenus, il reçut en tapinois des souscriptions pour un second puis pour un dixième concert, tout cela dans l’espace d’un mois ; il y avait de quoi exténuer, épuiser, anéantir une force plus résistante que la mienne, car dans chacun de ces concerts je figurais au moins trois fois sur le programme ; mais je fus si puissamment, si constamment soutenu par la sympathie du public, que je ne m’aperçus d’aucune fatigue. Devant un auditoire aussi intelligent, aussi bienveillant, je n’étais jamais arrêté par la crainte de n’être pas compris ; je pus sans témérité jouer les compositions les plus sérieuses de Beethoven, de Weber, de Hummel, de Moschelès, de Chopin ; des fragments de la Symphonie Fantastique de Berlioz, les fugues de Scarlatti, de Haendel ; enfin ces chères études, ces enfants bien-aimés qui avaient paru si monstrueux aux habitués de la Scala. Je dois le dire : depuis que je joue du piano,