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société égoïste et frivole, combien de saintes pensées ont été balayées au loin par le vent de la dispersion, et je n’aspire plus qu’à recueillir ma vie dans tes vierges solitudes, à la retremper dans la simplicité des mœurs rustiques, à la purifier dans l’oubli de la multitude, afin de descendre au tombeau un peu moins chargé de ces coupables ennuis que l’expérience amasse sur la tête de l’homme.

— Je partis pour Vienne le 7 avril. Mon intention était d’y donner deux concerts ; le premier au bénéfice de mes compatriotes, l’autre pour payer mes frais de route ; puis de m’enfoncer seul, à pied, le sac sur le dos, dans les parties les plus désertes de la Hongrie. Il n’en fut point ainsi. Mon ami Tobias[1] en ordonna autrement. Il est nécessaire que vous sachiez quelle espèce d’homme est mon ami Tobias. Il est un peu gros, il est un peu gras, mais il n’est nullement bête, je vous en réponds. Son visage arrondi, qui rappelle celui de Hummel, est éclairé par deux petits yeux gris d’une extrême finesse ; son coin de bouche trahit une causticité pleine de bonhomie. Ses habitudes sont paisibles, ses manières cordiales. Sans s’agiter le moins du monde, il trouve moyen d’expédier une foule d’affaires et de rendre énormément de services. Ses éditions sont remarquablement correctes et soignées.

Je ne l’avais jamais vu ; pourtant il m’ouvrit ses

  1. Tobias Haslinger, éditeur de musique à Vienne.