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et irrésistible besoin de secourir tant de malheureux. Que ferai-je pour eux ? me disais-je ; quel secours leur apporterai-je ? je ne possède rien de ce qui rend puissant parmi les hommes. Je n’ai ni l’influence que donne la fortune, ni le pouvoir que donne la grandeur. N’importe ; allons toujours, car je le sens, il n’y aura plus de repos pour mon cœur, plus de sommeil pour mes paupières, que je n’aie porté mon denier à cette immense misère. Qui sait, d’ailleurs, si le ciel ne bénira point ma chétive offrande ? La main qui multiplia les pains dans le désert n’est point lassée. Dieu a peut-être renfermé plus de joie dans le denier de l’artiste que dans tout l’or du millionnaire.

Ce fut par ces émotions, par ces élans que le sens du mot patrie me fut révélé. Un paysage grandiose s’éleva devant mes yeux : c’était la forêt bien connue, retentissant du cri des chasseurs ; c’était le Danube précipitant son cours à travers les rochers ; c’étaient les vastes prairies où paissaient librement les troupeaux pacifiques ; c’était la Hongrie, ce sol robuste et généreux qui porte de si nobles enfants ; c’était mon pays enfin ; car moi aussi, m’écriai-je dans un accès de patriotisme qui vous fera sourire, moi aussi j’appartiens à cette antique et forte race ; je suis un des fils de cette nation primitive, indomptée, qui semble réservée pour de meilleurs jours !…

Elle fut toujours héroïque et fière, cette race. Les grands sentiments furent toujours à l’aise dans