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au sein de cette élégante assemblée, pourquoi je me trouvais mêlé au tumulte du monde, ce qui m’amenait parmi les riches possesseurs de la terre ? Ces questions, et bien d’autres que je m’adressais à part moi, me causèrent bientôt un insupportable malaise. Je me sentis si déplacé là où j’étais, si ennuyé, si embarrassé de mon personnage inutile, que je quittai la salle de danse pour aller me retirer à l’écart dans quelque coin délaissé de la foule. Je traversai plusieurs appartements occupés par des causeurs. Les bruits du bal diminuaient peu à peu à mesure que je m’éloignais ; ils cessèrent entièrement quand je pénétrai dans un boudoir solitaire meublé en style gothique, à peine éclairé par les reflets d’une lampe d’albâtre qui s’éteignaient sur de sombres masses de plantes tropicales. Des fleurs étranges, pâles et belles, penchaient leurs calices et semblaient attristées de leur somptueux exil. Quelques-unes enroulaient leurs gracieuses spirales autour de légères grilles d’ébène, et parvenues en haut se laissaient retomber mélancoliques et comme découragées de ne point rencontrer l’air et la lumière des cieux. Je m’assis là, sur un vaste fauteuil ; ses sculptures noires, ses formes ogivales transportaient ma fantaisie dans un âge écoulé, tandis que le parfum des fleurs exotiques m’apportait les tableaux de lointains climats. Je ne sais si, lassé de la veille et du bruit, je m’endormis dans ce silence poétique ; je ne sais si mon imagination exaltée par la musique, si mes nerfs irrités