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admirablement exécuté par Mme Pasta, Poggi et le comte Belgiojoso, produisit, comme d’habitude, le plus grand effet. Le concert parut court, quoique plus de dix morceaux figurassent sur le programme. En un clin d’œil, tandis que l’on parcourait les appartements où le gothique et le rococo rivalisent ; où les tableaux de Hayez et de Liparini se rencontrent avec les statues de Marchesi, dans une atmosphère embaumée, la salle de musique fut convertie en une délicieuse salle de bal. Un essaim de jolies femmes, avides de déployer plus à l’aise la fraîcheur ou le luxe de leur parure, s’y précipita. Les diamants, les fleurs, les gazes, les satins flottaient, papillonnaient, tourbillonnaient au son d’une entraînante valse de Strauss. C’était une éblouissante féerie.

J’essayai un instant de me laisser aller comme les autres à ce tourbillon de joie, d’ouvrir mes sens aux séductions de la fête, de prendre la part qui m’était due de ces bruyants amusements. J’aurais voulu me trouver jeune de la même façon que les autres se trouvaient jeunes, et sentir ma jeunesse à la frivolité du plaisir, comme je l’avais sentie souvent à l’âpreté de la souffrance. Mais en vain, la musique avait produit sur moi son effet accoutumé, elle m’avait isolé au milieu de tous ; m’arrachant au monde visible, elle m’avait plongé dans les profondeurs de l’être intérieur. Les souvenirs récents d’une vie de travail et de solitude achevaient de me rendre insensible à l’attrait des plaisirs mondains, je me demandais ce que je venais faire