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vous chez un parfumeur, il vous offre l’essence que préfère la comtesse. Entrez-vous chez un papetier, il vous engage à acheter le papier dont se sert la comtesse. Regardez-vous un album du jour de l’an, il est dédié à la comtesse. Y a-t-il un attroupement dans la rue, c’est qu’on fait cercle autour de l’attelage russe et des chiens anglais de Mme la comtesse. Enfin quand la comtesse éternue, tout Milan dit : Dieu vous bénisse.

Le concert qu’elle avait promis depuis longtemps était impatiemment attendu ; on y devait entendre une grande cantatrice retirée du théâtre où elle n’a point été remplacée, Mme Pasta. Beaucoup de gens voulaient se donner le triste plaisir de comparer leur impression présente à leur émotion passée ; de se dire, en opposant la femme de quarante ans à la femme de vingt-cinq : Voilà ce qu’elle est, voilà ce qu’elle a été ; d’autres plus jeunes, ne l’ayant jamais entendue, voulaient la mesurer à sa renommée ; écrasante renommée, lourde à porter pour l’artiste alors que les années, en lui laissant peut-être la même force de sentir, lui enlevèrent la faculté d’exprimer tout ce qu’elle sent ; alors que son talent conserve encore sa clarté, mais a perdu son rayonnement ; que d’autres talents d’une sève plus jeune éveillent, par le seul attrait de la jeunesse, plus de sympathies que sa perfection stérile. Oh ! c’est là une véritable mort pour l’artiste ; mort lente, perfide, qui tarit goutte à goutte la source de poésie où se retrempait son existence. Que le