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autres subissent l’effet du temps ; leur cœur et leur esprit s’équilibrent dans une médiocrité raisonnable, dans la mesquine sagesse qu’enseigne la pratique des hommes.

Encore un peu de temps et ce travail s’achèvera en moi comme en tant d’autres ; encore un peu de temps, et je serai devenu ce qu’on appelle un homme sensé, c’est-à-dire… mais Dieu me garde des définitions.

Il serait trop long de vous faire ici le menu détaillé des soirées musicales et des concerts auxquels j’assistai activement ou passivement durant mon séjour à Milan. Je ne vous parlerai que d’un seul, celui que donna la comtesse Samoïloff, cette jeune et belle étrangère qui s’est choisi Milan pour patrie et s’y est conquis, par son immense fortune et sa prodigue magnificence, une petite royauté sociale. Le peuple l’aime et l’invoque, parce que sa bienfaisante libéralité ne connaît point de bornes ; la bourgeoisie a les yeux sur elle, parce qu’il y a quelque bizarrerie dans ses goûts et un certain faste autour de sa personne ; ses pairs l’envient bien bas, parce que sa maison est un centre de plaisirs et d’amusements qui jette tout le reste dans l’ombre. Quand vous arrivez à Milan, le premier nom qui résonne à vos oreilles c’est celui de la comtesse. En quelque lieu que vous appellent vos affaires ou vos habitudes, depuis le salon de la duchesse Letta jusqu’à l’échoppe du cordonnier, on vous parle de la comtesse. Allez-