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comme un bagage nécessaire, et cheminant assez lestement entre l’idéal et le réel, sans trop me laisser séduire par l’un, sans jamais me laisser écraser par l’autre.

Le premier concert que je donnai à Milan, ce fut au théâtre de la Scala, un des plus vastes théâtres du monde, comme vous savez, tel qu’il semble construit pour défier la voix de Lablache et les puissantes harmonies de l’orchestre du Conservatoire. En conscience, je devais y faire une singulière figure, moi si maigre, si étriqué, seul à seul avec mon fidèle piano d’Érard, vis-à-vis un public accoutumé à une grande pompe de spectacle et à des effets musicaux fortement accusés. Si vous ajoutez à ces circonstances de localité que la musique instrumentale est généralement considérée par les Italiens comme une chose secondaire, qui ne saurait entrer en parallèle avec la musique de chant, vous aurez une idée de la témérité de mon entreprise.

Très peu de grands pianistes sont connus en Italie. Field est, je crois, le dernier (si ce n’est le seul) qui s’y soit fait entendre. Ni Hummel, ni Moschelès, ni Kalkbrenner, ni Chopin, n’ont paru de ce côté des Alpes.

C’est vers le Nord aujourd’hui qu’est l’aimant doré qui attire le talent. Les Médicis, les Gonzague, les d’Este dorment sur leurs coussins de marbre. D’illustres Mecenati n’appellent plus dans leurs palais les illustres artistes. Pour qu’un musicien