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billets gratis. Leur nombre est tel qu’ils rempliront la moitié de la salle. C’est un peu désagréable, il est vrai ; mais aussi le succès sera beaucoup plus assuré ; car le billet gratis implique l’enthousiasme, c’est chose reconnue dans tous les pays du monde civilisé. Vous croyez que l’artiste est au bout de ses peines ? vous oubliez les chicanes avec le loueur de quinquets, les négociations avec la loueuse de chaises, les pourparlers avec l’administrateur des hospices, etc., etc., etc.

Ce travail fatigant et ridicule est à recommencer dans tous les lieux où il veut établir sa réputation, partout où le besoin d’argent le presse. Combien ces mesquines et impitoyables nécessités contrastent avec les besoins de son organisation ! Dans quelles contestations infinies se débat et se consume sa force ; quels obscurs tiraillements le retiennent dans les plus basses régions de la vie sociale, tandis que son âme est puissamment attirée vers les hautes sphères de l’art et de la pensée ! Un jour peut-être, quand je serai assez vieux pour aimer de ma jeunesse jusqu’à ses déceptions et ses misères, quand je me serai décidément placé au point de vue philosophique de la vie, j’écrirai pour mes amis octogénaires une véridique histoire, un livre de souvenirs, dont le titre pourra être celui-ci : « Des grandes tribulations qui s’attachent aux petites renommées » ; ou bien encore : « Vie d’un musicien, longue dissonance sans résolution finale ». En attendant, je continue ma route, portant mes ennuis