admire, est à la fois l’objet de son culte et le but direct de son art. Il n’a rien à demander à la foule ; il peut s’abandonner sans réserve à la contemplation enthousiaste, se perdre, s’abîmer dans le sentiment de la beauté infinie ; car, plus il la comprend, plus il la pénètre, plus il la devine, plus aussi son travail devient fécond, devient libre, devient plastique. Quand le statuaire parcourt la Grèce, l’Italie, ces pays où la forme humaine a reçu de la main de Dieu toute sa perfection et des rêves de l’art toute sa splendeur, son œil saisit les contours, son intelligence étudie les rapports ; puis, dans le silence de l’atelier, il reproduit ou il crée, manifestant son talent ou son génie. Ni l’un ni l’autre n’est entravé dans son essor, ni l’un ni l’autre ne se voit troublé dans le développement harmonique de ses facultés ; ni l’un ni l’autre n’est condamné à subir les contacts froissants, les ignobles tracasseries qui résultent des rapports immédiats et journaliers avec le public. Le musicien, au contraire, j’entends le musicien exécutant, le donneur de concerts, qu’il soit d’ailleurs ce qu’il lui plaît, pianiste, harpiste, violoniste, corniste, accordéoniste, guimbardiste ou clarinettiste, n’a rien à faire avec la nature extérieure ni avec les chefs-d’œuvre de l’art. La contemplation, le rêve, ne sont pour lui qu’une perte de temps. Qu’il arrive à Venise, à Florence, à Rome, c’est à peine s’il pourra jeter en courant un furtif regard sur le palais ducal, sur l’Apollon, sur le Colisée ; il faut qu’il se hâte de paraître, qu’il fasse
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