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Déterminer aujourd’hui avec largeur et précision quelle est la situation des artistes dans notre ordre social ; — définir leurs rapports individuels, politiques et religieux ; — raconter leurs douleurs et leurs misères, leurs fatigues et leurs déceptions ; — déchirer l’appareil de toutes leurs plaies toujours saignantes et protester énergiquement contre l’iniquité oppressive ou la stupidité insolente qui les flétrit, les torture et daigne tout au plus s’en servir comme de jouets ; interroger leur passé, prophétiser leur avenir, produire tous leurs titres de gloire ; — apprendre au public, à la société oublieuse et matérialiste, à ces hommes et à ces femmes que nous amusons et qui achètent notre denrée, d’où nous venons, où nous allons, ce que nous avons mission de faire, ce que nous sommes enfin !… ce que sont ces hommes d’élite qui semblent choisis par Dieu même pour rendre témoignage aux plus grands sentiments de l’humanité et en rester les nobles dépositaires… Ces hommes prédestinés, foudroyés et enchaînés qui ont ravi au ciel la flamme sacrée, qui donnent une vie à la matière, une forme à la pensée et réalisant l’idéal nous élèvent par d’invincibles sympathies à l’enthousiasme et aux visions célestes[1]… Ces hommes initiateurs, ces apôtres, ces prêtres d’une religion ineffable, mystérieuse, éternelle, qui

  1. Cf. l’avant-propos du poème symphonique Prométhée ; on voit que le mythe de Prométhée et son caractère symbolique frappèrent Liszt de bonne heure.