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parole. C’est que, voyez-vous, je suis encore trop jeune, mon cœur a des pulsations trop fortes pour que je souffre patiemment qu’on y pose la main et qu’on les compte : ce que j’admire, ce que je hais, ce que j’espère, a creusé de trop profondes racines dans mon âme pour qu’on puisse si aisément les mettre à nu. On l’a fait bien souvent avec des intentions hostiles ; alors j’ai répondu par le silence, aujourd’hui vous le faites d’une main amie, c’est à l’ami que je veux répondre.

Vous m’accusez d’avoir un caractère mal assis, et pour preuve, vous énumérez les nombreuses causes que j’ai, suivant vous, embrassées avec ardeur, les écuries philosophiques où j’ai tour à tour choisi mon dada. Mais, dites ? cette accusation, que vous faites peser sur moi tout seul, ne devrait-elle pas, pour être équitable, peser sur notre génération tout entière ? Est-ce donc moi seul qui suis mal assis dans le temps où nous vivons ? Ou plutôt malgré nos beaux fauteuils gothiques et nos coussins à la Voltaire, ne sommes-nous pas tous assez mal assis entre un passé dont nous ne voulons plus, et un avenir que nous ne connaissons pas encore ? Vous-même, mon ami, qui paraissez en ce moment prendre si gaiement votre parti des misères du monde, avez-vous toujours été très bien assis ? Quand naguère votre pays se fermait pour vous et que vous arriviez au milieu de nous, sollicité par tous les partis comme un puissant auxiliaire, avez-vous été tout d’un coup déterminé et