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nade, je m’avise, moi aussi, de relire votre lettre et d’y trouver je ne sais quelle intention grave, je ne sais quel air de conviction qui perce à travers mille charmantes plaisanteries, et me provoque comme malgré moi à une réponse sérieuse.

C’est un des malheurs de notre temps que cette publication donnée par la presse aux sentiments et aux pensées de la vie intime ; nous autres artistes nous avons le grand tort de nous juger les uns les autres, non seulement dans nos œuvres, mais encore dans nos personnes, et de nous faire comparaître réciproquement devant le public que nous initions ainsi, souvent assez brutalement, presque toujours fort inexactement, à une portion de notre existence, que son investigation devrait respecter au moins de notre vivant. Cette manière de faire au bénéfice de la curiosité publique, de la vanité particulière et des cours d’anatomie psychologique, est chez nous passée en coutume : personne n’a plus le droit de se plaindre, parce que personne n’est épargné ; d’ailleurs, il faut bien le dire, la plupart d’entre nous ne sont point trop fâchés d’une publicité qui, laudative ou critique, met au moins pour quelques jours leurs noms dans la circulation. Vous l’avouerai-je ? je ne suis point de ceux-là. Quand la critique s’adresse à moi comme artiste, je l’admets ou je la récuse ; en aucun cas elle ne saurait me blesser : mais quand elle en arrive à vouloir juger l’homme, alors il s’élève en moi une farouche susceptibilité qui s’arrête à la moindre