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apparence du moins) de mon sujet. La question de la condition des artistes, telle que je la conçois, tient par tant de bouts aux questions les plus importantes de la société elle-même, qu’il est impossible de la soulever, sans toucher à la fois des choses qui, au premier abord et pour des yeux peu accoutumés à suivre l’enchaînement d’un certain ordre d’idées, y paraissent étrangères. Pour bien la poser, la traiter et la résoudre, de rares facultés, des recherches et des méditations laborieuses, et avant tout une grande synthèse religieuse et philosophique sont rigoureusement nécessaires[1]. On me dispensera ici de faire mon acte d’humilité. Jeune et dernier venu pour ainsi dire au milieu de tant d’artistes supérieurs que je m’enorgueillirais d’appeler mes maîtres et dont plusieurs m’honorent du nom d’ami, je crois superflu d’imprimer officiellement que toute prétention, toute jactance vaniteuse ou dogmatique me sont entièrement étrangères. Simple apprentif de nature et de vérité[2], je sais que mes paroles n’ont ni l’autorité du talent, ni celle de l’expérience. Je n’écris point pour enseigner. Je souffre et j’interroge… Le plus souvent, je me borne à observer ; parfois je me hasarde à dire, mais toujours avec défiance…

  1. On reconnaît ici l’idée favorite des philosophes romantiques ou contemporains du romantisme : le système de Saint-Simon et celui de Lamennais, avant le positivisme d’Auguste Comte, prétendant être chacun une de ces « grandes synthèses religieuses et philosophiques ».
  2. Montaigne.