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cela nous heurte trop brusquement dans notre émotion, parce que ce genre d’émotion ne leur est guère connu.

Quand je vous aurai dit le nom des opéras représentés cet hiver à la Scala, ce sera à peu près tout ce que je pourrai vous en dire : sauf i Briganti et il Giuramento de Mercadante, tous ont passé sans laisser de trace : gli Arragonesi de Conti ont disparu le premier soir dans une épouvantable tempête du parterre ; les Nozze di Figaro, oui, mon ami, les Nozze di Figaro refaites par M. Ricci, la Solitaria de Coccia ont à grand’peine fourni leur temps ; puis on a repris pour les débuts de Francilla Pixis, la Cerenentola, la Semiramide a clos la saison théâtrale. Deux opéras seulement de Rossini ? hélas ! oui. Les œuvres du grand maître ne composent plus à Milan le fond du répertoire : les entrepreneurs les réservent comme des en-cas dans la disette : on a fait naguère abus de ces chefs-d’œuvre. Les Italiens sont aujourd’hui avides de nouveautés avant tout ; bien que trop souvent frustrés dans leur attente, ils aiment à voir figurer sur l’affiche un nom nouveau espérant toujours que quelque jeune maëstro fera jaillir pour eux du rocher une source miraculeuse de jouissance musicale : mais les racines des grands arbres épuisent le sol ; leur ombre est fatale, et trace autour d’eux un espace aride : à l’ombre du génie de Rossini on dirait qu’aucun musicien ne puisse croître.