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fois dans la soirée : la Malibran lorsqu’elle joua la Somnambule le fut trente-six fois. Quand les acteurs sont médiocres, cette cérémonie n’est que grotesque : lorsque au contraire ils ont puissamment agi sur nous, quand l’émotion a été profonde, que l’art a triomphé et vous a transporté hors de la réalité dans le domaine de l’illusion, cela devient odieux, c’est un verre d’eau glacée jetée au visage d’un homme qui a la fièvre.

On peut encore voir dans ces habitudes une indication de ce qu’est la musique dramatique pour les Italiens, et de la façon dont ils l’écoutent. Un opéra n’est guère autre chose, pour eux, qu’un concert en costume ; l’accord des situations et de la musique ne les préoccupe pas ; la partie philosophique de l’œuvre musicale entre à peu près pour rien dans le plaisir qu’ils y trouvent. Qu’un morceau soit agréable à l’oreille, qu’une mélodie soit suave et doucement mélancolique, ils ne demandent pas compte à l’auteur de la manière dont elle est amenée, ni de sa convenance dans le rôle. On jouit de la musique et de l’exécution, abstraction faite de la donnée poétique : on n’oublie jamais le chanteur pour le personnage qu’il représente : on sait toujours parfaitement que c’est à Mme Schoberlechner et non à Sémiramide, à M. Petrazzi et non à Otello, que l’on a affaire. Aussi les Italiens trouvent-ils tout simple de faire faire la révérence aux acteurs après un coup de poignard ou dans les plus grandes péripéties du drame, et ne conçoivent-ils point que