Page:Liszt - Pages romantiques, 1912, éd. Chantavoine.djvu/201

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

quiert pas si le maëstro s’appelle Rossini ou M. X… ; il ne se conforme point en aveugle aux arrêts rendus ailleurs : ce qui lui plaît est bon ; ce qui lui déplaît est mauvais. À la bonne heure, me direz-vous, si son instinct est juste, si ses jugements sont équitables ! Pour parler vrai, Milan m’a paru sur ce point semblable à la plupart des villes. Ce n’est pas le beau qui frappe d’abord la multitude ; c’est encore moins le sublime ; ce n’est pas non plus le laid ; je dirais que c’est ce qu’il y a de meilleur dans le médiocre. Dans les arts, vous le savez, nous sommes surtout émus par une corrélation secrète qui s’établit entre la pensée de l’artiste et la nôtre ; par un magnétisme caché qui attire les semblables ; or, la pensée et le sentiment de la multitude étant médiocres, elle est le plus habituellement touchée par le médiocre. Comme cependant dans les intelligences les moins élevées il y a encore un besoin d’idéalité relatif, dans ce médiocre elles font un choix, et ce choix est juste parce qu’il ne dépasse pas la mesure de leurs facultés. Ainsi, dans tout le cours des représentations de la saison qui vient de finir, j’ai toujours vu choisir avec discernement les morceaux les plus supportables d’opéras insupportables, pour les applaudir ; j’ai vu aussi répartir avec assez d’équité les bravos accordés aux chanteurs ; mais je n’en suis pas moins resté convaincu qu’il est un ordre de beautés auquel le sentiment des Italiens est presque complètement étranger ; une profondeur de pensée, une vérité sérieuse,