Page:Liszt - Pages romantiques, 1912, éd. Chantavoine.djvu/200

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qui se passe à la Scala. Depuis le grand seigneur qui va magnifiquement bâiller aux premières loges, jusqu’au dernier commis de la dernière boutique d’épicerie, qui, moyennant ses 75 centimes, se glisse de loin en loin dans le loggione, chacun ; prend parti pour ou contre la prima donna, le ténor, la basse ou le maëstro ; c’est comme une affaire nationale qui occupe tous les esprits et tient en suspens toutes les imaginations. Le garçon de café en faisant mousser votre chocolat, raconte que Francilla Pixis a très bien chanté le rondo de la Cenerentola ; l’homme qui cire vos bottes n’est pas satisfait des décorations du Giuramento… Cette année il y avait un tolle général contre l’imprésario parce qu’il manquait à ses engagements et frustrait le public de deux opéras nouveaux auxquels celui-ci avait droit. La réduction de la rente n’affecte pas plus le bourgeois de Paris que la réduction de l’opéra n’affecte le Milanais. Cela est tout simple : Panem et Circenses ! c’est encore là le cri des habitants de l’Italie.

Les premières représentations sont toujours extrêmement animées. Le public de la Scala, sauf les occasions où le compositeur a donné un grand nombre de billets, et obtient ce qu’on appelle un succès de risotto parce qu’on suppose qu’il a convié ses partisans à un risotto monstre, le public s’abandonne franchement à ses impressions, sans aucun égard pour les réputations acquises. Il applaudit et siffle la Malibran dans la même cavatine ; il ne s’en-