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quelques époux, de ceux qui tiennent à leurs aises, ont-ils une loge à eux, où, délivrés du cérémonial de rigueur dans la loge conjugale, ils peuvent voir en paix le spectacle et jouir des privilèges égoïstes du célibataire.

On comprend que, le nombre et la qualité des visites étant proportionnés au degré de fashion d’une loge, chaque femme mette son amour-propre à voir toujours la sienne bien remplie. Les rivalités tacites qui s’établissent ainsi ont un côté assez piquant pour l’observation. À Paris, ce n’est que par ouï-dire que l’on sait dans un salon ce qui se passe dans l’autre ; ce n’est qu’à la longue que s’établissent les réputations si enviées d’aimable maîtresse de maison ; mais ici un coup d’œil suffit, deux mille personnes, sans quitter leur place, peuvent observer chaque soir les diverses phases d’élégance qui parcourent les loges et signaler les diverses constellations qui les régissent. Les femmes ont ainsi une sorte de vie publique qui paraîtrait fort étrange aux Parisiennes accoutumées à envelopper d’un certain mystère les rapports qui se nouent et se brisent incessamment autour d’elles, les fils ténus et frêles qui en se croisant et en se combinant de mille manières forment le tissu si admirablement nuancé de leur vie intime. À Milan point de mystère possible. Les sympathies sont aussitôt dévoilées au public qu’elles se dévoilent à elles-mêmes ; tout se pressent, tout se devine ; rien n’échappe de la progression insensible