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qui veut être pourtant le premier théâtre du monde.

À Milan on est reconnu pour étranger à cette seule question : Allez-vous ce soir à la Scala ? question superflue, oiseuse, inutile, que ne s’adressent jamais les Milanais. Pour eux, cela ne fait pas doute, autant vaudrait se demander si l’on vit encore. Hors la Scala, point de salut. C’est le lieu de réunion unique, le grand récipient, le véritable centre de gravité de la société milanaise. Quand la Scala se ferme, la société se dissout ; on dirait qu’elle a besoin pour exister de l’atmosphère enfumée du théâtre et que le bruit des instruments lui est indispensable pour se dérober à elle-même sa propre nullité. C’est là, dans cet immense vaisseau, que se rassemblent chaque soir la société élégante, celle qui l’est moins et celle qui ne l’est pas du tout, divisées par rangs de loges, se regardant l’une l’autre à travers l’espace ténébreux qui les sépare. La plupart des loges sont propriété particulière. Cela s’achète comme une maison et le prix varie communément de 20 à 50 000 francs. Quelques-unes sont tendues, meublées et éclairées à l’intérieur comme de petits salons. Chaque femme préside seule dans la sienne et reçoit durant tout le cours de la représentation une série de visites auxquelles le mari est obligé de céder de proche en proche la meilleure place ; d’où il advient que de visite en visite, de politesse en politesse il se trouve courtoisement mis à la porte. Aussi