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mais, ainsi qu’il me l’a confessé depuis, il n’a pas déjeuné, il a grand faim, l’enthousiasme lui creuse l’estomac ; il songe au risotto qui l’attend, et, durant un point d’orgue, il court ranimer ses forces et revient bien mieux disposé encore à la sympathie. Il ne me parle pas pourtant, mais je l’entends dire à son commis : Questo è Liszt o il Diavolo. Alors, me voyant si véhémentement suspecté, je vais à lui et je me nomme ; cinq minutes après, sans que je puisse me rappeler ce que nous avons dit, Ricordi avait mis à ma disposition sa maison de campagne dans la Brianza, sa loge alla Scala, sa voiture, ses chevaux, les quinze cents partitions dont il est propriétaire ; enfin, depuis un mien ami, qui avait longtemps séjourné à Honololu, capitale d’O Taïti, je n’avais pas vu pratiquer l’hospitalité avec si peu de restrictions et tant de cordialité.

Le soir même nous allons ensemble à la Scala : l’immensité de la salle, sa belle coupe, la profondeur de la scène, donnent à ce théâtre quelque chose de très imposant ; pourtant l’aspect général en est monotone et triste. Le défaut de lumière et le vide des loges[1] sont assurément deux causes qui suffisent à expliquer l’impression de froid et de tristesse qui nous saisit en y entrant ; mais il en est d’autres encore plus permanentes et moins

  1. « La saison est très mauvaise cette année. » (Style d’entrepreneur de théâtre.) Tout le monde se plaint du directeur, des chanteurs, des compositeurs, et en cela tout le monde a raison.