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et de quelle manière il faut s’y prendre pour procéder méthodiquement et classiquement dans ses admirations. Je n’ai jamais rien su et ne saurai jamais rien faire par chapitre ; j’ai au surplus une aversion prononcée pour la contenance et les allures de voyageur touriste ; je tâche donc de m’en débarrasser le plus tôt possible, et, pour cela, je me hâte de perdre du temps : qu’aurait de mieux à faire, je vous prie, celui qui est exilé par sa volonté propre, errant à dessein, sciemment imprudent, partout étranger et partout chez lui[1] ?

Me voici flânant dans les rues de Milan comme je pourrais le faire sur les boulevards de Paris, et je me trouve bientôt, sans savoir comment, vis-à-vis la Scala, à la porte du magasin de Ricordi. Vous savez, ou vous ne savez pas, car, Dieu merci, vous n’avez jamais écrit ni vendu des doubles croches, que Ricordi est le premier éditeur de l’Italie et l’un des plus considérables éditeurs d’Europe : or, voyez-vous, l’éditeur c’est le ministre résident de la république musicale ; c’est le salus infirmorum, le refugium peccatorum, la providence des musiciens errants comme moi. J’entre donc, et sans préambule je vais m’asseoir au piano ouvert. Je me mets à préluder ; c’est ma façon de présenter mes lettres de créance. Ricordi est là. Je ne le connais pas ; il ne me connaît pas ; il écoute et il s’enthousiasme ;

  1. Durch eignen Willen exilirt, mit Yorsatz irrend, zweckimässig unklug, überall zu Haus (Goethe, Lettres écrites d’Italie). Note de Liszt.