Page:Liszt - Pages romantiques, 1912, éd. Chantavoine.djvu/175

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

puis la nymphe pudique de Turtemagne, qui se cache dans les rochers, et dont les ondes tombent blanches et molles comme les plumes d’un jeune cygne. Nous traversons le Simplon, hardi passage que se fraya la volonté d’un héros à travers des abîmes courroucés et des blocs de marbre qui reposaient dans leur force depuis les premiers jours du monde. Nous gardons le silence et nous baissons les yeux, car nous nous sentons bien petits partout où Napoléon a laissé sa trace.

Arrivés à Bavéno, sur les bords du lac Majeur, un bateau nous conduit à l’Isola-Madre ; c’était naguère, une roche aride, sur laquelle croît aujourd’hui la plus splendide végétation. Les citronniers et les orangers couvrent les murs d’une tenture parfumée ; les sassafras, les camphriers, les magnolias y forment de délicieux ombrages ; et le sapin d’Écosse élève au-dessus d’eux sa tête sévère, pareil à un philosophe désabusé au sein d’une riante et joyeuse assemblée. L’aloès aux feuilles de bronze perce le roc, il étale ses ardentes étamines qui ne fleurissent qu’une fois dans sa vie ! — Mais le soir est venu ; la lune trace sur l’onde un sillon lumineux qui tremble comme la foi des choses divines dans nos âmes hésitantes et douteuses. De tous les villages qui bordent le lac, les cloches saintes s’appellent et se répondent… Voici les étoiles qui s’appellent aussi dans les cieux… Dites : qu’y a-t-il donc au dedans de nous, chétifs et misérables, qui nous met on communion avec ces merveilles infinies ?