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plus rien de vivant ni d’humain. J’avais hâte de me retrouver en plein air. Sur la pelouse qui s’étend devant le couvent, je contemplai longtemps un groupe d’enfants jouant aux osselets et deux vaches superbes qui paissaient les herbes parfumées avec une confiante nonchalance. Tout autour de moi, des hauteurs à pic couvertes d’arbres touffus ; un oiseau, un seul faisait retentir l’air de sa cadence obstinée. Quel contraste ! mon ami ; quels symboles vivants ! quel anachronisme qu’un couvent de Chartreux au xixe siècle ! Comment la papauté n’a-t-elle pas senti que les temps étaient venus de raviver une institution qui, n’ayant plus aucun sens, ne représentant plus aucune idée, ne répondant à aucun besoin, devait nécessairement tomber en poussière ? Sans doute, un pape homme de génie, un pape qui eût compris son époque comme les Grégoire et les Innocent comprirent la leur, eût pu tirer un parti énorme des monastères en les consacrant à des travaux d’intelligence ou même à des exploitations industrielles : il eût effacé ainsi la tache d’oisiveté qui a rendu le monarchisme si odieux aux peuples ; il eût superposé aux spéculations industrielles qui absorbent tout aujourd’hui la pensée religieuse absente ; les hommes de Dieu, en partageant le travail du prolétaire, eussent acquis le droit de lui prêcher la morale chrétienne, et, par cette simple modification des règles claustrales, sans toucher en rien à ses dogmes, la papauté eût pu peut-être ramener au christianisme une classe nombreuse de