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hêtres et de châtaigniers. À mesure que nous pénétrons dans la gorge elle se resserre et s’ombrage de plus en plus. Au bruit du torrent succède le silence ; la végétation, d’une beauté croissante, semble vouloir attirer et retenir l’homme dans la paix du Seigneur. J’ai fait un grand nombre d’ascensions alpestres ; nulle part je n’ai vu un pareil effet de continuité. Les Alpes se divisent en trois régions distinctes et contrastantes : d’abord, la végétation, la culture ; puis la région des sapins et des pâturages, qui va en se dégradant, en se dénudant jusqu’aux rochers et aux neiges éternelles. Ici, rien d’interrompu, rien de tranché : toujours un tapis de verdure sous nos pieds ; toujours un dôme de feuillage sur nos têtes ; toujours une voix cachée qui dit : Venite ad me omnes qui laboratis. C’est le jour de l’Assomption ; au bout de quatre heures de marche, les cloches nous annoncent l’approche du couvent. J’entre dans la chapelle où l’on célèbre le triomphe de la mère de Dieu, et je vais m’asseoir auprès d’un pilier où dix mois auparavant j’avais entendu les chants funèbres de la messe des morts. Je pus me figurer un instant que je n’avais pas quitté ma place, tant il y avait peu de différence entre les hymnes de la joie et les cantiques de la douleur. C’était encore une psalmodie monotone, inaccentuée ; un murmure caverneux de voix cassées par la vieillesse, éteintes par l’abstinence ; un bruit étrange plutôt qu’une musique ; des accents qui, non plus que les poitrines dont ils sortent, n’ont