Page:Liszt - Pages romantiques, 1912, éd. Chantavoine.djvu/159

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

insuffisant salaire, travaillent à parer l’opulence et l’oisiveté !… Car, ô barbare dérision du sort ! celui qui n’a pas un chevet où reposer sa tête, fabrique de ses mains les somptueuses tentures sur lesquelles s’endort la mollesse du riche ; celui qui n’a que des lambeaux pour couvrir sa nudité tisse les brocarts d’or que revêtent les reines ; et ces enfants à qui leurs mères ne sourient jamais, debout près du métier sur lequel elles se courbent, fixent un œil terne sur les arabesques et les fleurs qui naissent entre leurs doigts et vont servir de jouets aux enfants des grands de la terre.

Ô dure loi de la fatalité sociale ! quand donc tes tables d’airain seront-elles brisées par l’ange de la colère ? larmes ! ô soupirs ! ô gémissements du peuple ! quand donc aurez-vous comblé l’abîme qui nous sépare encore du règne de la justice ?

À défaut de la charité qui n’a pu entrer dans nos cœurs, l’aumône du moins est entrée dans nos habitudes. À Lyon, comme à Paris, comme partout, du moment où la misère dépasse les limites qu’une sorte de convention tacite lui assigne, un appel général est fait à toutes les fortunes ; un zèle louable anime toutes les classes ; mille moyens ingénieux sont inventés pour tromper l’avarice ; la quête se déguise de mille façons diverses et ne recule même pas devant le choquant contraste de fêtes et de bals donnés en vue du grabat du pauvre, afin d’arracher à la vanité, à la soif du plaisir, ce qu’elle n’obtiendrait pas de l’amour de l’humanité.