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beau lac, je suis allé chercher un abri dans le coin le plus reculé du Berry, cette prosaïque province, si divinement poétisée par George Sand. Là, sous le toit de notre illustre ami, j’ai vécu trois mois d’une vie pleine et sentie, dont j’ai pieusement recueilli toutes les heures dans ma mémoire. Le cadre de nos journées était simple, facile à remplir. Nous n’avions besoin pour tromper le temps, ni de chasses à courre dans de royales forêts, ni d’opéras d’amateurs, ni de ces parties, soi-disant champêtres, où les gens du monde apportent chacun son ennui pour contribuer à l’amusement général. Nos occupations et nos plaisirs, les voici : la lecture de quelque philosophe naïf ou de quelque profond poète ; Montaigne ou Dante, Hoffmann ou Shakespeare ; la lettre d’un ami absent ; de longues promenades sur les bords cachés de l’Indre ; puis, au retour, une mélodie qui résumait les émotions de la promenade ; les cris joyeux des enfants qui venaient de surprendre un beau sphinx aux ailes diaphanes, ou quelque pauvre fauvette trop curieuse, tombée du nid sur le gazon. C’est là tout ? Oui, en vérité, tout. Mais, vous le savez, ce n’est point par les surfaces, c’est par les profondeurs que se mesurent les joies de l’âme. La nuit venue, nous nous rassemblions sur la terrasse du jardin ; les derniers bruits humains s’éloignaient peu à peu dans l’espace ; la nature semblait prendre possession d’elle-même et se réjouir de l’absence de l’homme, en envoyant au ciel toutes ses voix et tous ses parfums. Le murmure